La
génisse et le pythagoricien
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o m p a g n i e t f 2 , j e a n - f r a n ç
o i s p e y r e t |
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Sappliquant à décrire lorigine du monde, Ovide, dans Les Métamorphoses, développe un cycle de poèmes livres- qui met en forme la genèse de celui-ci. Passés les âges heureux et déclinant une histoire du métal qui veut que lor soit plus précieux que le fer les histoires commencent. Comprenons par-là : les problèmes sérieux, les tracas graves, les dérapages inqualifiables, les avatars violents, les soucis obsessionnels, les ennuis en perspectives, les désagréments immédiats, les craintes continuelles qui ponctuent la vie quotidienne des séducteurs, des mortels, des amants, des récalcitrants... Vient alors à se dessiner un monde chagrin où les dieux et la nature qui comprend lhomme sont pris pour un vieux couple. Enfin, cest autant une relation de couple quune relation de filiation (père/fils, père/fille, mère/fils, beau-père, etc.) Bref, une histoire de famille recomposée et décomposée où le second est limage on ne parle pas encore de clonage du premier. Doù le droit quobservent les dieux sur leurs progénitures. " La chair de ma chair, cest ma chair " peut-on dire dune formule tautologique. Formule qui prive lautre de toute identité, renchérit du côté de la possession et du possessif (plus y a de "Moi ", moins y a " lautre " ou plus y a de " JE ", moins y a de " tu ", voire plus y a de dieux, etc.) et oblige aux métamorphoses. Aussi peut-on lire Les Métamorphoses dOvide comme lhistoire de ces formes imprévisibles quemprunte le "tu" pour se protéger le "je" du "JE". Les Métamorphoses qui se lit également comme un manuel de stratégie où le changement de formes vaut pour un mouvement de fuites et déchappées, voire dattaques et de conquêtes, cest selon. Formes et mouvements sont donc au cur de ce poème où, paradoxalement, le mouvement est impossible et intime à celui qui veut sévader de se dissimuler ou de végéter dans la nature sous une forme différente de celle de lorigine. On fait le mort aux alentours de lOlympe et ce nest pas quune figure de rhétorique. Doù lapparition, dans la nature, dentités hybrides : femme-arbre, femme-vache, homme-serpent, jeune fille-marbre, homme-chouette, etc. à lorigine de figures fantastiques et de récits incroyablement cruels qui alimenteront le monde des mythes. Bang ! 2000 ans plus tard, les dieux absents, lorganisation du monde laissée à lhomme, Diogène sest trouvé en Oncogène un frère ; Minotaure un géniteur avec Picasso ; Césiphe un miroir en Néotonie ; Tirésias et Sithon une excuse en Diploïde ; sans compter la multitude des Ion, Germen (dit aussi Pyrrha, soit la cousine germaine de Deucalion), Antigène et autres corps invisibles aux yeux dArgus, mais que le microscope dAlain Prochiantz et le théâtre de loupe de Jean-François Peyret passent au crible. Au chinois, si ce nétait faire injure, au poète, et au poème qui mêle le langage scientifique et le trope poétique, la figure de style et le lexique de la technoscience au latin dOvide. Tout commence là, à moins quil ne sagisse du " Début de la fin " comme le souligne louverture de la séquence 5 de " La Génisse et le pythagoricien ". Tout re-commence donc là, dans un théâtre où lactivité rétinienne et les automatismes perceptifs du spectateur croisent les images vidéo et les images acoustiques qui semballent. Cest là que ça saffole à nouveau depuis que Jean-François Peyret sinquiète de la formule tardive de Locke, lequel prétendait dans un moment de dépression qu " entre le singe et lhomme, il y a nous ". Cest donc ce " nous " (forme pronominale du miss link et déictique genettien qui comprend au minimum je+tu, voir plus haut le rapport dialectique daliénation entre lun et lautre) que Jean-François Peyret et sa bande tentent de distinguer lhomme des grands primates, explorent le lien chaînon- entre les dieux et lhomme : les métamorphoses subies depuis le début de lhistoire récente de lêtre humain qui, depuis Aristote (lhomme est un animal) jusquà Heidegger (qui prétend que lanimalité de lhomme nest plus à démontrer) ne cesse de nous rappeler à une condition que nous fuyons. La fuite ou le syndrome des métamorphoses à venir sommes-nous tentés de souligner quand on songe quen plus de lanimal, il faut également penser lhomme sous ses formes minérales et végétales. Pour le first one réécouter loracle de Thémis au livre premier. Pour le second, adopter le profile du roseau pensant ou se parer de laurier. Quid encore de la métempsycose, mais là cest un autre bouillon de culture. Semparant de ces états virtuels et mythologiques, surfant sur le vague qui entoure ces identités qui font fi de la barrière des espèces (les problèmes de reproduction et de contagion arrivent), le " philologos " Peyret décide dès lors de saisir le problème à sa racine ou à son gène. Deux entrées lexicales pour désigner lévolution de lhomme via lhistoire naturelle de lesprit et ses variations. Dès lors, non, il ne sagira pas dadapter Ovide à la scène. Et non, encore, Ovide nest pas un prétexte. Mais, et selon toute vraisemblance, Ovide est chez Jean-François Peyret un début parce quil faut bien commencer par quelque part, à un moment donné. Aussi, parce que luvre du poète est un labyrinthe et quil serait vain de chercher à établir la traçabilité des personnages, Jean-François Peyret fait le choix de quelques épisodes plus des fragments dailleurs, quun tout et les croisent avec le discours scientifique tenu aujourdhui sur lHomme, le singe, les enzymes, la vision bi-oculaire du turbot (Büchner eut en son temps un penchant pour le poisson), la vache folle et sa sur Io fille dInachus, lart de Picasso et son amour pour les taureaux, léthique de Pythagore, etc. Une série qui induit un chaos poétique où labstrait jouxte le figuratif dans la perspective dun début dhermenia qui comme chacun sait nest pas sans rapport avec Hermès. Eternel retour du mythe alors ? Dévidence, cet amalgame ne laisse pas indemne le spectateur troublé par cet ensorcellement du monde, par autant de pistes et dinformations : de hors-pistes aux effets magnétiques où il sagit moins de définir lhomme que dinterroger sa place dans le vivant, voire de rappeler ses différentes émergences. Cela étant, ici, cest surtout un chaos qui permet du langage, remet du jeu dans le langage (une définition possible du théâtre). Le langage qui est, chez Ovide, la seule origine des métamorphoses et qui, obligé, contraint, recyclé par un metteur en scène, un neurobiologiste, un compositeur, une bande de comédiens, un vidéaste, une bibliothèque portative, etc., se trouve converti en images acoustiques et technologiques dans un autre espace qui est celui du théâtre. "La technologie est une surlangue" écrit Boris Cyrulnik. Le travail de Jean-François Peyret pourrait alors se définir comme ce qui renouvelle les possibilités du langage. Cest-à-dire autant sa capacité à nommer ce quil y a eu et ce quil y a, que sa puissance à évoquer (calculer ?) ce qui est en passe dêtre ou à venir. Doù une scène ouverte sur la transmission de pensées incarnées, ayant perdues leurs aura, dans un enchevêtrement dimages liées à des mondes mentaux et matériels, mais aussi physiques, sonores et corporels. Philologos et éthologiste, Jean-François Peyret qui saventure depuis longtemps du côté de la reproductibilité de luvre dart, expose une uvre théâtrale au sens au Benjamin prête à cette exposition la particularité de capter et dorienter le regard. Alors, lacteur joue encore dempathie mais sans savoir où se trouve le modèle, ni même quel est le sentiment quil doit éprouver. "Je hais les raffinements psychologiques" dira Jean-François Peyret dans un calme olympien à des comédiens souverains. Souverains, mais constamment mis en alerte, à cheval entre/sur James Bond ou le fantasme sadique antinaturel pour qui la nature nexiste pas ; Jean-Jacques Rousseau et son homme naturel appelé aussi bon sauvage perverti par la nature ; et enfin Tarzan : le héros naturaliste soumis par une femme qui léduque aux bonnes manières et au beau langage comme le souligne lauteur de Mémoire de singe et Paroles dhomme. Et dajouter alors que Cadmus (Clément Victor) tout reptilien quil apparaît sifflement et assonance de [se] dans son vêtement est tout aussi proche du copain de Chita. Que les promenades de Jean-Baptiste Verquin attaché à un fil sont autant de rappels dun humain attaché à quelquombilic des limbes. Et que Maud Le Grévellec qui chorégraphie sa transformation en porc, salarmant des soies qui lui poussent, fait entendre lanagramme (sosie) qui vaut pour une métamorphose à peine lisible. Et de dire que les facéties de François Chattot et les coups dil de Pascal Ternisien qui jouent le turbot sont autant daccélérations qui conduisent le théâtre et le spectateur à dépasser toutes les dimensions de la logique. Et chacun fredonne déjà, ou plus hardiment siffle, les premières mesures de la composition dAlexandros Markeas. Et, depuis hier soir, toute léquipe cherche le déplacement juste du cube qui ne doit pas nuire au dispositif bi-frontal. Alors retentit la voix : "Dieu sest trompé aussi dans sa création. Il na pas tout changé le samedi soir", cétait celle de Jean-François Peyret. Il était tard déjà et ça aussi ça correspondait à la seule question qui vaille au théâtre, comme pour Austin, "How to do things with words". Yannick Butel Maître
de conférences théâtrales à l'université
de Caen. |
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