Des
Chimères en automne
spectacle de Jean-François Peyret et Alain Prochiantz
mise en scène Jean-François Peyret
du
20 novembre au 20 décembre 2003
au Théâtre National de Chaillot
En
effeuillant le spectacle
Dramaturgie de la feuille (et du chou)
A quelques jours de cette première automnale, les pages blanches
ou légèrement noircies jonchent le sol du plateau. Depuis
le début des répétitions, les partitions sont devenues
des accessoires mouvants, de la poignée de terre sur la tombe de
Darwin au bec de pigeon. Support de lecture ou objet de manipulations
concrètes, on ne sait : Lucie tient sa conférence “
pour une Académie ” en feuilletant un énorme tas de
textes qu’elle ne lit pas, Clément classe les différentes
pages pendant que Darwin meurt en rampant dans des papiers éparpillés.
Joli mille-feuilles que ces différentes couches de travail que
la page laisse transparaître : dans un passage de “ pause
”, d’intermittence, Lucie classe ses feuillets, les plantant
dans un étrange potager. Et brusquement apparaît en filigrane
la chercheuse qui, dans les semaines précédentes de répétition,
tombait sur les notes de Darwin “ Se marier ou ne pas se marier
”. Les pages de manuscrit au milieu des choux ? Comme les autres
accessoires, la feuille permet de mettre en lumière les étapes
de jeu et de déclencher une rêverie autour d’étranges
associations d’images ou de situations. Belle polysémie aussi
de ces papiers lorsque Lucie en tend un tas à Clément en
demandant “ tu en as assez ? ”, entendant non pas le texte
écrit mais les feuilles permettant de former un bouquet.
Mais la page assume ici un rôle plus complexe, dans la structure
même d’un spectacle où l’on feuillette un grand
livre d’images. Au cours du voyage du Beagle, Lucie et Jacques deviennent
les images correspondant au texte dit par Clément. Pendant que
l’une joue les autruches, ces drôles d’oiseaux qui préfèrent
nager plutôt que voler, l’autre apporte une légende
à l’illustration : “ Je suis un millionnaire en petits
faits étranges. ” Lucie ouvre le livre (dictionnaire ? carnet
de voyage ?) à la page “ canis fulvipes ”, où
Jacques et Clément nous présentent une variante darwinienne
de la fable de La Fontaine. La scène réussit l’étrange
pari de traduire une pensée par des éléments rythmiques
: la rapidité boulimique de l’observation naturaliste fait
ensuite place à la suspension posée de la découverte.
Même les corrections apportées au texte trouvent leur place
dans le jeu : on corrige la coquille “ Castries ” en “
Castro ”. Les trois parties du cerveau de Darwin continuent à
fonctionner simultanément : l’une observe, l’autre
note, la troisième rêve. Parfois, un Darwin revoit sa jeunesse
de naturaliste, qui se déroule de l’autre côté
du plateau.
Si les comédiens ne lisent véritablement les textes que
dans la dernière séquence, sorte d’oratorio où
ils feuillettent les partitions posées sur des pupitres de concertiste,
on comprend bien que le voyage auquel nous invitent ces Chimères
est une traversée d’écriture. Au cours des répétitions
se sont constituées différentes partitions, étapes
successives des textes choisis. La musique et les mots se tissent, alternent,
se cèdent mutuellement la place. Acteur ou spectateur, on tourne
les pages du grand livre de la nature et de la connaissance, avec ses
surprises, ses miracles, et ses dilemmes. On ne peut que s’interroger
sur le genre du volume qu’on nous propose de lire avec notre tasse
de thé dans le salon de la famille Darwin. Un roman ? Un recueil
de poèmes où les situations et les images trouvent une cohérence
différente de la réalité ? des ours s’y métamorphosent
en baleines, une théière y devient lorgnette, lanterne,
goupillon de prêtre, voire marteau de géologue…
Ou un bouquin qui laisse au lecteur la perpétuelle surprise de
ce que sera la page suivante.
Anne Monfort
le site
de la compagnie tf2: http://www.tf2.re
Des
Chimères en automne
spectacle de Jean-François Peyret et Alain Prochiantz
mise en scène Jean-François Peyret
avec
Jacques Bonnaffé, Lucie Valon, Clément Victor
Assistante
à la mise en scène Stéphanie Cléau
Dramaturge Anne Monfort
Scénographie Nicky Rieti
Lumière Bruno Goubert
Musique Alexandros Markeas
Costumes Thibault Fack
Play in progress
Coproduction
: tf2- compagnie Jean-François Peyret, Théâtre
National de Chaillot.
Avec l'aide du Ministère de la Culture et de la Communication,
de la DRAC île de France et le Conseil Général
de la Seine Saint-Denis.
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