Des
Chimères en automne
spectacle de Jean-François Peyret et Alain Prochiantz
mise en scène Jean-François Peyret
du
20 novembre au 20 décembre 2003
au Théâtre National de Chaillot
Impromptu,
impromptu, ça a une gueule d’impromptu ?
Je m’interroge depuis quelques jours sur cette
notion d’ “ impromptu ” qui est le sous-titre du spectacle.
Chez Molière, les comédiens manquent de temps pour repasser
leur rôle, la pièce est à peine écrite, et
l’envoyé du roi permet heureusement à la troupe de
répéter le spectacle plus longtemps. Certes, ici aussi,
le temps fait défaut : quatre semaines de répétition
au lieu des deux mois habituels. Le texte se constitue au cours des répétitions,
le spectacle repose sur l’improvisation (all’improviso),
comme à Versailles…et comme dans les autres spectacles de
Jean-François Peyret. Impromptu, mais pas plus que d’habitude
?
Chez Molière ou Ionesco , il n’y a pas
de personnage, ou plus exactement, il y a des comédiens qui jouent
leur propre rôle. Là non plus, pas de personnages, mais des
prises de parole, en leur nom propre ou en celui d’autrui ; le principe
du jeu est de trouver dans ces textes les thèmes et les formes
évocateurs, pour le comédien comme pour le citoyen. Contrairement
à celui de Versailles, l’Impromptu de Chaillot n’est
pas un pamphlet tendant à soutenir une thèse, dramaturgique
ou sociologique.
Molière avait été le premier à
utiliser la situation de la répétition dans son impromptu
pour varier sur le thème de la critique. Dans les Chimères,
on trouve une figure moderne de cette répétition dans les
recherches de jeu, alors que les comédiens versaillais n’étaient
confrontés qu’à l’obstacle du texte. Le contrat
passé avec le spectateur est rien moins qu’étrange
dans ce type de théâtre. L’aller-retour entre comédien
et personnage est permanent, et l’incarnation est fluctuante : l’autre
jour, Lucie et Clément jouait la déclaration de Charles
à Emma au téléphone, en utilisant les micros. Pendant
la déclaration de Charles, la comédienne se faisait rappeler
à l’ordre parce qu’elle soufflait dans le micro pour
faire le bruit des vents battant le pont du Beagle. Je pense aussi à
Jacques, arrivant en retard en répétition et surgissant
directement sur le plateau.
Toute la structure du spectacle repose sur des micro-situations
ébauchées puis abandonnées : pendant que Lucie entonne
le Rapport pour une Académie de Kafka, Jacques et Clément
sont en fond de scène et ne font rien, images de “ comédiens
au repos ” qui vont ensuite passer du petit singe à Ovide.
Darwin et le babouin passent de corps en corps. Personnage collectif,
personnage intermittent, le trio décline les différentes
formes d’appropriation du texte, voire en les conjuguant : Jacques
commence le poème du condor en récitation d’école
primaire pour l’achever en transes hugoliennes. Et cette nouvelle
forme d’impromptu devient explicite dans les interventions du metteur
en scène, du biologiste, du philosophe allemand ou du dramaturge-qui-a-lu-Sophocle,
tous ceux qui sont hors scène d’habitude mais participent
au spectacle.
C’est peut-être aussi le sujet de la pièce
qui en fait un impromptu à part dans les spectacles de la compagnie
tf2. En effet, la thématique de ce playshop rejoint les questions
du comédien: est-ce qu’on peut démarrer quelque chose
(un spectacle, l’humanité) n’importe où, n’importe
quand? comment être ensemble sur le plateau (ou dans la savane)
? Comment être moi tout en étant les autres, mon espèce
? C’est le jeu vital, la lutte pour la vie qui est en jeu ici :
comment faire pour s’approprier quelque chose, de l’espace,
de la nourriture, un texte…
Comme l’expliquait Jean-François l’autre
jour, une forme se crée, un peu toute seule, et elle exclut d’emblée
certains matériaux : le Traité des émotions
de Darwin a disparu, sans volonté particulière de notre
part. La dernière séquence du spectacle varie au fil des
jours. Une forme de feuilleton, version moderne de l’impromptu :
to be continued…..
Anne Monfort
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